Des milieux aux territoires forestiers : itinéraires biogéographiques (Conclusion)
La biogéographie française, issue de la biologie, a vécu des changements d’approche au cours de sa jeune histoire renouvelant constamment ses questionnements et ses méthodes. Traversant plusieurs périodes, la biogéographie des géographes a connu une véritable renaissance dans les années 1960, suivie d’un renouvellement du champ d’étude, dans les
années 1970, centré sur les paysages et les forêts, et complété par un renforcement conceptuel introduisant le géosystème et le sylvosystème. Enfin, l’élargissement de la biogéographie a intégré depuis la fin des années 1970 l’action des sociétés humaines, formulant ainsi une réflexion sur les rapports entre l’homme et la nature, puis a développé depuis le début des années 1980 la dimension historique dans l’étude des forêts, leur gestion et leur aménagement.
La biogéographie française est l’une des rares dans le monde à connaître une évolution aussi originale en intégrant dans son approche le rôle de l’homme et le poids de l’histoire en se positionnant « à la charnière de la géographie physique et de la géographie humaine » comme l’avait déjà écrit en 1968 Henri Elhaï dans son ouvrage posthume. Ainsi la biogéographie française ne se limite plus seulement à l’étude physique des milieux naturels mais se recentre autour des sociétés humaines, non pas pour les considérer exclusivement comme perturbatrices voire destructrices, mais pour offrir une approche plus nuancée de la complexité des paysages végétaux.
Le titre retenu pour ce colloque « Des milieux aux territoires forestiers : itinéraires biogéographiques » résume non seulement cette évolution de la biogéographie française au cours du XXe siècle mais correspond également au parcours d’un certain nombre de géographes comme Jean-Jacques Dubois qui a plus particulièrement contribué à développer un courant de recherche novateur et fédérateur consacré à la biogéographie historique. La dimension historique donne une clé d’interprétation supplémentaire dans la compréhension des forêts, résultant d’une très longue interaction entre les sociétés et leur milieu. Ce colloque sera l’occasion de saluer la belle carrière d’enseignant-chercheur de Jean-Jacques Dubois, aujourd’hui Professeur émérite à l’Université des Sciences et Technologies de Lille-I. Ce colloque qui donnera lieu à des communications en salle et à une excursion sur le terrain, a pour ambition de dresser un bilan de principaux thèmes de recherche développés en biogéographie au cours de ces dernières années, de retracer les itinéraires scientifiques empruntés et les postures épistémologiques adoptées, et de dégager des perspectives en ce début de XXIe siècle. Une approche prospective orientera alors la discussion vers l’appréciation des enjeux liés à l’évolution des discours abordant notamment la notion de développement durable ou de gestion intégrée.
Quatre thèmes seront développés au cours de ces trois journées de colloque, dont une journée entière d’excursion dans le Nord-Pas-de-Calais.
THEME 1 : LA BIOGEOGRAPHIE HISTORIQUE DES FORETS
Coordination : Groupe d’Histoire des Forêts Françaises
Ce thème s’intéressera à la dimension historique et à l’importance de la durée dans l’étude des forêts. La biogéographie historique s’appuie sur l’analyse temporelle, qui identifie des ruptures et des continuités paysagères à travers la reconstitution des états antérieurs, fortement tributaire de la disponibilité et de la qualité des sources archivistiques et iconographiques. L’une des méthodes développées par la biogéographie historique pour l’étude des sylvosystèmes hérités est l’analyse régressive qui part d’un bilan de l’état actuel du paysage pour tenter de reconstituer, à rebours, les étapes fondamentales passées de l’évolution d’un paysage en fonction des diverses sources disponibles. Elle cherche ainsi à établir une classification génétique des paysages actuels, à discerner les héritages et les mutations récentes, à faire la part des dynamiques forestières liées aux potentialités naturelles et des bouleversements résultant des vicissitudes historiques. La prise en compte des temporalités en biogéographie permet de retracer l’enchaînement des états successifs des paysages végétaux et d’imaginer les trajectoires évolutives intégrant le poids des héritages et la résilience des territoires. Ces aspects de dynamiques permettront de mener une réflexion sur les ruptures et les continuités tant spatiales que temporelles d’une part et de réfléchir aux enjeux de la fabrication de temporalités d’autre part. Comment dépasser la simple chronologie pour mieux prendre en compte le temps et les événements historiques dans la dynamique des forêts et leurs évolutions ? Comment reconstituer des états antérieurs, distinguer des origines et des causes, observer des évolutions et des ruptures, découper des périodes et isoler des moments forts lorsque les sources sont parcellaires ?
THEME 2 : LES FORETS ENTRE NATURE ET SOCIETE
Coordination : UMR 8185-CNRS Espaces, Nature et Culture (Paris-IV)
Depuis les années 1970, la biogéographie française a intégré dans son approche le poids de l’homme dans l’interprétation et la compréhension des paysages forestiers, non pas pour considérer les sociétés humaines exclusivement comme perturbatrices voire destructrices, mais pour offrir une approche plus nuancée de la complexité des forêts. Ne se limitant plus seulement à l’étude physique des milieux naturels, de nombreuses recherches en biogéographie étudient les forêts comme une co-production de la nature et de la société, en les considérant d’abord comme des espaces humanisés, morcelés, aménagés, territorialisés par les sociétés, ensuite comme des milieux, résultats d’une longue confrontation entre les contraintes naturelles et les interventions humaines pluriséculaires. Cette posture épistémologique a favorisé une réflexion stimulante sur les rapports entre l’homme et la nature intégrant des approches pluridisciplinaires nécessaires pour mieux appréhender notamment les questions d’environnement et de pays age. A l’image de la biogéographie historique bien formalisée aujourd’hui, y a-t-il une biogéographie culturelle en émergence située à l’interface de la nature et de la culture dont l’objectif est l’étude géographique des phénomènes naturels et culturels, comme les patrimoines bioculturels ? Comment appréhender les phénomènes et les effets spatiaux dépendant de l’interaction des systèmes naturels et culturels ?
THEME 3 : TERRITOIRES FORESTIERS, TERRITOIRES DES FORESTIERS ?
Coordination : EA 4019 Territoires, Villes, Environnement, Société (Lille-I)
Qu’entend t-on par territoire forestier ? Doit-on le réduire à l’influence et au travail des aménageurs et techniciens en liaison avec une approche marchande qui s’est développée surtout depuis le XXe siècle ? L’essor des activités récréatives, des politiques de protection, du maintien de certaines pratiques ou modes de vie traditionnels nous invitent à une perception poly-fonctionnelle du territoire forestier. Cette conception met en scène des acteurs variés aux initiatives multiples et très évolutives. Dans cet état d’esprit, il est souvent difficile de réduire le rôle de la sphère technicienne aux seuls aspects productifs des forêts. Comment se manifeste cette vision poly-fonctionnelle et quelles en sont les concrétisations dans l’espace ? Est-on sur des territoires fortement marqués par le zonage, auquel cas la diversité des fonctions se traduit par une spécialisation spatiale par usage dominant ? A t-on plutôt des approches globales où les différents usages cohabitent sur le même espace. Dans tous les cas et au-delà de ces questions, il est impossible de considérer les forêts uniquement comme une ressource naturelle. Elles sont des ressources variées dont l’ampleur de la mise en valeur dépend de l’intentionnalité des divers acteurs. Dans quelle mesure peut-on transposer notre propos aux différentes parties du monde ? N’est-on pas sur une approche trop résolument occidentale et anthropocentrée ? Comment le regard des autres cultures vient-il enrichir et bouleverser cette approche des territoires forestiers ?
THEME 4 : QUELLE BIOGEOGRAPHIE POUR DEMAIN ?
Coordination : Commission de biogéographie (CNFG)
Après avoir abordé les rétrospectives et retracé les itinéraires empruntés par la biogéographie au cours du XXe siècle, le dernier thème du colloque prendra une dimension prospective et réflexive pour cette spécialité. Compte tenu de ses héritages et de ses spécificités, nous nous interrogerons sur les devenirs scientifiques et pédagogiques envisageables pour la biogéographie à l’aune du XXIe siècle. Aujourd’hui, les travaux de nombreux biogéographes portent sur les questions d’environnement, de développement durable, d’aménagement multifonctionnel et de gestion intégrée des milieux… D’autres délaissent les milieux forestiers au profit d’objets géographiques hors de l’emprise forestière dont les préoccupations méthodologiques gravitent autour des limites et des marges des territoires biogéographiques (interfaces, écotones, lisières forestières, limites, discontinuités) nécessitant une compréhension en termes de dynamiques spatiales et temporelles (héritages et devenirs). L’étude de ces dynamiques passe notamment par la pluralité des échelles d’analyse (emboîtement et articulation entre les échelles) pour mieux appréhender la complexité des territoires et la multiplicité des jeux d’acteurs (conflits d’usages et de pratiques) située à des échelles d’intervention différentes qui révèle des fonctionnalités variées. Comment organiser la multifonctionnalité et la gestion intégrée des territoires forestiers dans un contexte évolutif (changement climatique, modification de la productivité des sylvosystèmes, augmentation des risques encourus, impact d’une éventuelle crise énergétique, modifications géopolitique et démographique…) ? De nouvelles orientations de la recherche en biogéographique intégreront-elles les effets du changement climatique ?
Organisateurs du colloque
Marc Galochet Université d’Artois
Marc.Galochet@univ-artois.fr
Eric Glon Université Lille-I
eric.glon@univ-lille1.fr
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