Table ronde : Où en est le droit des étrangers ? / Journée d’études : Migrations et droits
Étienne Balibar : Les étrangers sont-ils nos ennemis ?
Je m’intéresserai à la confusion croissante qu’on peut déceler entre l’usage des catégories de l’étranger et de l’ennemi. En un sens, elle ne fait que porter au jour une tendance de l’État-nation, dont l’expression est « normalement » limitée par les lois et les mœurs. Elle semble désormais s’imposer irrésistiblement, comme ce fut le cas à certains moments tragiques de l’histoire du siècle passé. Mais l’échelle n’est plus la même, pas plus que les alternatives politiques qui en résultent. Le philosophe Jacques Derrida a proposé le terme de « crise auto-immunitaire » : c’est un bon fil conducteur, car il montre qu’il ne s’agit pas seulement de choisir entre fascisme et démocratie, mais plus radicalement de faire face à la question « constitutionnelle » de la citoyenneté et de son « universalité ». Faudra-t-il nous résigner à sa régression plus ou moins définitive, ou bien serons-nous capables d’inventer à contre courant des tendances actuelles de nouvelles formes de citoyenneté qui en relancent le progrès historique ?
Emmanuelle Lequien: Le droit des étrangers est généralement conçu comme le droit de l’étranger d’entrer et de séjourner en France. L’étranger est également un sujet de droits discriminatoires.
L’étranger est d’abord appréhendé par le droit français sous son seul aspect économique : le travailleur, réduit à une force de travail. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il est appréhendé également comme un être humain sujet de droits fondamentaux universels (1948).
Puis le travailleur se révèle être le chef d’une famille, que les États d’immigration ne peuvent plus ignorer (art. 8 CEDH, accords bilatéraux…).
Pourtant, la souveraineté d’un État induit le droit régalien de celui-ci de déterminer celui qu’il autorise à pénétrer ses frontières. Le droit des étrangers appréhende alors l’étranger avant même qu’il ait pénétré le territoire – législation sur les visas – puis, une fois en France, il détermine son droit au séjour, et les conditions de son éloignement.
L’évolution du droit en toutes ses matières, depuis le premier choc pétrolier, tend vers un durcissement exponentiel. L’étranger fait les frais d’un jeu politique dans lequel on affiche la fermeté d’une politique en réduisant les droits de l’étranger conçu comme un fardeau et non comme un enrichissement.
Danièle Lochak : La politique de contrôle des flux migratoires, pratiquée depuis une trentaine d’années par la France et par l’ensemble des pays européens, engendre des atteintes graves aux droits des migrants. Sont remis en cause des droits aussi fondamentaux que le respect de la vie privée et familiale, le droit d’asile, le droit de ne pas être arbitrairement détenu, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et même le droit à la vie. Cette politique aboutit aussi à un accroissement sans fin des pouvoirs et des moyens de surveillance de la police, favorise la suspicion et encourage la délation et finalement sape les fondements d’une société libre et d’un État de droit.
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