Projection du court-métrage Campus 2016
Face aux bouleversements politiques et institutionnels, comment pratiquer nos terrains aujourd’hui ? -
En tournant ce film, j’ai eu une pensée particulière pour tous les collègues qui souffrent et qui n’osent pas le dire, ceux qui dépriment parce qu’ils ne sont pas au top de leurs recherches, ou parce qu’ils ne parviennent pas dans leurs enseignements à intéresser suffisamment des jeunes qui auraient besoin de profondeur. Je le dirai sans détours : ce système LMD [3] est un véritable échec, un virus qui s’est infiltré dans les Universités pour aspirer leur souffle vital. C’est le triomphe de la course, de la performance sur la lenteur nécessaire à l’apprentissage £ la victoire du superficiel sur la profondeur.
Je souffre aussi pour les jeunes qui doivent sentir que quelque chose ne va pas. Ce n’est pas vrai que les jeunes se détournent volontairement des sciences. Cette histoire de désaffection pour les sciences est un canular. Celui-ci est démasqué dans une enquête menée par le sociologue Bernard Convert. Nous le constatons également depuis plusieurs années lorsque nous rencontrons, mon collègue François Recher et moi-même, des élèves, des enseignants, des documentalistes et des chefs d’établissements scolaires de notre région. Nous apprenons en effet beaucoup sur une « sociologie de la jeunesse actuelle ».
Les jeunes cherchent de la passion et de la profondeur. Ils ont ce besoin vital nécessaire pour orienter leurs choix de vie. C’est presque une caractérisation de la jeunesse : chercher la profondeur. Et nous, qui avons déjà fait une partie du chemin, nous avons une dette envers les personnes que nous avons rencontrées et qui nous ont fait connaître les grands plaisirs de l’accès à la connaissance, et ont ainsi éclairé notre propre chemin.
Je pense naturellement à des collègues, maintenant à la retraite, à une époque déclarés émérites — c’est à dire le top de la carrière universitaire — car leur culture représentait un phare pour nous tous £ ces collègues qui, avec les critères et les mentalités actuelles, auraient du mal à devenir professeurs première classe ! Ces collègues qui ont formé des générations et des générations de jeunes dans des conditions bien différentes de celles que nous connaissons actuellement, je veux dire plus respectueuses.
Et si une Université perd ses jeunes, elle n’aura bientôt plus de doctorants, plus de chercheurs, plus de laboratoires. Ce serait alors davantage une désaffection pour la médiocrité que pour les sciences. Le scénario catastrophe serait alors la désertification de nos campus.
Voilà une peur que j’ai essayé d’exorciser dans le film. Le titre, « Campus 2016 », m’aide à penser que nous avons encore quelques années pour réagir avant qu’il ne soit trop tard...
Délivrer des connaissances est une chose, mais donner aux jeunes un véritable accès à la connaissance en est une autre autant nécessaire. On peut se contenter de débiter du savoir et de publier davantage. Le rôle de l’universitaire, je ne le conçois pas comme tel, mais plutôt comme un guide, un accompagnateur, un référent qui ouvre à la connaissance, un passeur entre l’université et la cité. C’est un véritable engagement auprès des jeunes, une des missions essentielles et prioritaires de l’Université mais aussi de la recherche au sens large, des publications, des colloques,...
Chacun doit pouvoir y trouver sa place selon ses compétences, ses talents, ses projets et être reconnu dans la complémentarité : enseignant-chercheur, enseignant, chercheur, professeur des écoles, psychologue scolaire, inspecteur, chef d’établissement, médaille Fields, académicien, penseur...
« Campus 2016 » est un acte d’amour pour l’Université et pour la pensée, toutes deux menacées dans un monde dominé par l’individualisme et la consommation qui a peut-être perdu de vue l’essentiel : le sens. Valerio Vassallo.